Rapport de Janick Leclair, responsable ASFA de l’école de sourds.

Bonjour les marraines et les parrains de l’ASFA !

Notre amie Janick Leclair, professeur sourde de français à Toulouse est au Bénin. Elle a bien sur visité notre école de sourds de Vedoko. Elle est responsable de l’ASFA en France pour l’école des sourds. Voici son rapport de sa visite d’hier. A vous de faire des remarques.  Je vous rappelle que vous pouvez parrainer cette école et faire parrainer par vos proches pour 10 € par mois, c’est-à-dire 3,40 € après déduction fiscale.

Les enfants sourds de l‘école de Vedoko

Je viens de passer une journée merveilleuse à l’école pour sourds publique de Cotonou.

  • Il y a eu d’abord une réunion avec les instituteurs, le directeurs et la trésorière.

Ils sont 6 dans l’équipe : l’enseignant du CI (Cycle d’Initiation, que nous n’avons pas chez nous, une sorte de préambule au CP), celui du CP, celui du CE1, celle du CE2, celui du CM1 et le directeur, qui est censé enseigner pour les CM2. Se trouvait également présente : la mère de Bill, qui est la trésorière de l’association des parents d’élèves.

  • Ils m’ont expliqué que l’école commence en C1, il n’y a pas de maternelle. Cela pose problème car les enfants arrivent à 6 ans et n’ont pas bénéficié des apprentissages de base (faire des ronds, des bâtons, apprendre les rudiments de l’alphabet, etc.) Ce qui fait que les enfants démarrent de rien et c’est problématique car ça retarde la mise en apprentissage directe du programme de C1. L’ASFA pourrait envoyer un courrier au ministère pour expliquer cela.
  • Nous avons commencé par un tour de table de présentation puis par lister les besoins, assez vite.

o    Il s’agit de matériel pédagogique qui fait défaut : la peinture, les pinceaux, les papiers,

o    des jeux pédagogiques,

o    des films en Langue des Signes (LS),

o    des livres : début de bibliothèque (expliquer l’importance des livres),

o    matériel sportif (ballons, maillots, raquettes, cordes…),

o    des supports de cours pédagogiques en ASL pour l’apprentissage de la LS.

  • Il a été évoqué ensuite le problème qu’ils rencontrent en termes d’enseignants. Sur 6 maîtres, seuls 4 sont payés par l’État. (je n’ai pas très bien compris qui paie les deux autres…). Comme le directeur devrait idéalement n’occuper que ses fonctions de directeur, il faut recruter 3 enseignants supplémentaires. Ils m’ont demandé si l’ASFA peut aider à payer des profs, j’ai répondu que non, mais nous pouvons aider en rédigeant des courriers. Le directeur lui-même en écrit toujours depuis 7 ans pour demander les postes en plus mais rien ne se passe. La bonne nouvelle du jour : un nouvel enseignant est arrivé ce matin même. Il a en charge les CP.
  • Nous avons ensuite parlé de la Langue des Signes des enfants : il s’agit de l’ASL, une certaine forme de Langue des Signes (je ne sais pas exactement précisément en quoi elle consiste, je vais me renseigner). Les sourds au Bénin pratiquent deux LS différentes, une LS Béninoise et l’ASL. Il faudrait se pencher en concertation avec l’autre école sur un projet d’harmonisation de cette Langue des Signes. (Pour mémoire : en France, la LSF n’a été reconnue comme langue officielle qu’en 2005, ce qui est récent, et c’est seulement à ce moment-là qu’elle a pu être analysée par les universitaires, enseignée et normalisée (le terme ne me convainc pas).  Il faudrait entériner une démarche en ce sens. Écrire sur cela au ministère, encore.
  • Ils m’ont parlé ensuite du problème des orphelins, enfants abandonnés car ils sont sourds. C’est très difficile pour eux. Ils sont abandonnés, il se pose donc le problème du transport pour aller à l’école et également celui de la nourriture. Ils n’ont rien. Il faut payer pour la nourriture, on ne les laisse pas mourir de faim, mais, sur le budget reçu en paiement qui sert à acheter cette nourriture, il faut partager, cela fait moins à manger pour les autres qui paient. Cela représente une dizaine d’enfants sur la soixantaine d’élèves.
  • La conversation a ensuite glissé sur le terrain pédagogique (je suis prof moi-même, c’est un point qui m’intéresse grandement). Les enseignants ont soulevé leur manque de formation. Leur profil est le suivant : ce sont des enseignants qui ont passé le concours d’enseignant et qui ont en plus une formation en LS. Ce sont tous des autodidactes, ils inventent chacun leur enseignement car il n’existe pas de formation spécifique pour les enfants sourds. Ils ne se sentent pas formés et pas assez équipés.  Ils enseignent les programmes de l’Éducation Nationale du Bénin (mêmes programmes que tous les autres élèves du territoire) avec l’enseignant qui s’exprime en LS. Il existe un formateur béninois, mais il a migré aux Etats-Unis. Plutôt que de le faire venir, l’idée serait de former un de ces enseignants afin qu’il soit, lui, le formateur des profs sur le territoire. La piste est à creuser. Dominique, le professeur nouvellement arrivé, a suivi un MOOC en partenariat entre l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie, qui forme les enseignants Béninois) et l’université parisienne de Cergy.
  • Toujours dans une démarche pédagogique est évoqué l’achat de vidéoprojecteurs. Il s’agirait de pouvoir travailler autrement, en projetant les supports de cours sur un carré blanc. La discussion a porté sur l’intérêt de mettre en place des classes multimédia. Par cela, ils entendent des classes où les professeurs utilisent le multimédia pour enseigner. Ils disent avoir besoin de formation pour utiliser les outils numérique (Powerpoint, logiciels de traitement de texte…) En ce qui me concerne, je me ferais un plaisir de la dispenser. L’idée serait de lancer, en marge du parrainage de l’ASFA mensuel, une quête spécifique pour les vidéoprojecteurs, à un moment qui serait adéquat.
  • Le lieu est également problématique, car pour la sécurité du matériel informatique, il faudrait un portail et un périmètre sécurisé. L’endroit est entouré sur un côté d’une zone humide, une sorte de mini-marécage, ce serait bien de clôturer cela pour que les enfants ne risquent pas un accident quelconque. Actuellement, n’importe qui peut entrer dans l’école, ce n’est pas fermé.
  • J’ai ensuite demandé : en termes de besoins de matériel, est-ce mieux de se fournir sur place ou faut-il du matériel qui vienne de France ?

o    Ici, ils peuvent acheter avec l’argent fourni : du matériel sportif (des ballons, des cordes à sauter, des cordes pour grimper etc.).

o    Chez nous, ce qui ne se trouve pas ici est de l’ordre de tout le reste, notamment le matériel de peinture, les supports spécifiques en ASL etc.

o    J’ai posé la question de l’envoi de matériel. Par la poste ce n’est pas une bonne idée, peu sûr et cher, mais il existe des transporteurs fiables du genre DHL. Cela fonctionne bien. Il faut voir les tarifs.

  • Nous avons parlé un peu de généralités ensuite.

o    L’école des sourds existe depuis 1977.

o    Que font les sourds une fois devenus adultes ?  Ils s’orientent vers des métiers manuels (coiffure, plombier, maçonnerie, couture…). Ils vont dans les centres de formation des entendants, sans interprètes. C’est un peu le système D, ils se débrouillent comme ils peuvent pour comprendre. Mais ils trouvent difficilement ces formations.

o    Ensuite, entre sourds adultes, ils ne se fréquentent plus trop. Il serait opportun de réfléchir à la création de lieux pour les sourds adultes, des foyers pour échanger. Ils ne se voient qu’à l’église le dimanche. (Ce n’est pas un projet pour l’ASFA, mais la réflexion est à prendre en considération si on veut comprendre la trajectoire générale des sourds au Bénin).

Je suis allée passer le reste de la journée avec les enfants et les enseignants, pour m’immerger dans leur quotidien.

  • Les salles de classe sont plutôt spacieuses et les enfants peu nombreux (une quinzaine maximum par niveau). Il y a 3 classes, et chacune est partagée par 2 instituteurs (C1-CP, CE1-CE2, CM1-CM2). Les CM1 et CM2, eux, ont un seul enseignant car le professeur des CM2,  le directeur, n’enseigne pas, il se concentre sur ses tâches de direction. Ce qui fait que les élèves sont désœuvrés le temps que le professeur s’occupe de l’autre niveau. Ils participent un peu au cours de l’autre niveau, mais sans grande conviction. C’est un réel problème.
  • Les élèves passent beaucoup de temps à copier ce qui est écrit au tableau (les instituteurs africains ont une écriture superbe !!!). Je ne suis pas sûre qu’ils comprennent tout ce qu’ils écrivent, et j’en ai parlé avec les instituteurs. Le problème est que les programmes de l’Éducation Nationale ne sont pas adaptés à ces élèves. Les professeurs enseignent comme pour les autres classes, en signant bien sûr, et ce n’est pas adapté. Mais ils y sont obligés. Je propose de réfléchir avec eux à une adaptation du programme, en concertation avec les enseignants. Je vais me rapprocher des enseignants de Toulouse et voir comment ils travaillent avec les enfants sourds, quels sont leurs programmes, et leur envoyer cela.
  •  C’est surtout en français que les élèves ont des difficultés. Ils sont bons en maths, pas en français. La maîtrise de la langue est ce qui pose le plus de problème.
  • Les enseignants sont extrêmement bienveillants et attentionnés envers les élèves. On sent qu’ils les aiment et qu’ils ont vraiment envie de les faire progresser. Je les ai trouvés d’une patience remarquable que je n’ai ni avec mes élèves ni avec mes enfants !
  • Les gamins sont absolument A-D-O-R-A-B-L-E-S ! J’ai craqué, ils m’ont fait fondre ! Ils étaient vraiment enchantés de ma venue et m’ont collée dès qu’ils le pouvaient. Les petits C1 et CP sont des terreurs, ils sont très dynamiques et excités, et ils se battent souvent, se bousculent… Les plus grands sont très sages. J’ai fait des photos, ça a été séances de pose où ça se poussait à qui mieux mieux pour être le plus près de moi. Un bazar sans nom, c’était trop drôle ! J’ai passé le temps méridien avec eux. Ils ont voulu parler avec moi, ils m’ont tous dit leur prénom en signe, ils voulaient savoir combien j’avais d’enfants, si j’étais venue en avion, etc. Ils étaient très intrigués par mon appareil, je le leur ai montré, je leur ai expliqué l’opération chirurgicale, etc. Beaucoup voulaient avoir le même, et ça m’a fendu le cœur de leur dire que ce n’était pas possible ici au Bénin… Cela n’est vraiment pas juste….
  • Au début de la journée, je ne comprenais rien, et petit à petit, j’ai appris un certain nombre de signes, et à la fin de la journée je ne les comprenais plutôt pas trop mal. L’ASL et la LSF sont très différentes mais il y a quand même un certain ombre de similitudes.

A part ça, il existe une association des parents d’élèves de l’école. Ce serait bien de se rapprocher d’eux. La maman de Bill est la trésorière.

J’ai pour terminer cette journée émouvante et passionnante eu un entretien avec le directeur en tête à tête.

  • Il a de lui-même commencé en disant que le programme n’est pas adapté aux enfants sourds. Les autorités, selon eux, n’ont pas pu adapter le programme, ils ne prennent pas conscience que celui-ci est difficile (les enfants font les mêmes évaluations de CEP (Certificat d’Études Primaires) que les autres élèves du Bénin, et sont en échec),. Il faudrait que ce soit le cas, notamment pour le français. Les enfants, en expression écrite, ont beaucoup de difficultés à faire des phrases correctes (comme les enfants sourds en France, d’ailleurs…). Il demande des aménagements depuis toujours, mais il déplore un problème de volonté politique. Je propose encore une fois de faire un point de ce qui se fait en termes de programmes en France et de le lui communiquer afin qu’il ait des pistes concrètes à avancer.
  • Nous avons ensuite évoqué la question de l’argent envoyé par l’ASFA. (C’était avant de recevoir un message de Bernard me disant que l’ASFA payait directement les fournisseurs…) Il est OK pour transmettre les factures des dépenses : il propose de les envoyer par WhatsApp sur le moment et de garder la version papier, à remettre aux membres de l’ASFA venant voyager chez eux.
  • Il m’a ensuite transmis le numéro du président des parents d’élèves, Dimitri Fadonougbo (+22995862294). Il est tout à fait OK pour que ceux-ci soient mis dans la boucle des échanges entre eux et nous (j’ai demandé cela afin que nous soyons plus rassurés sur l’utilisation de notre aide sur place).

Et lorsque 17 h sonnèrent, ce fut, à regret, la fin de cette magnifique journée. J’ai été très émue à plusieurs reprises. Les enfants voulaient tous que je revienne le lendemain…

J’étais complètement épuisée à la fin…. Les enfants m’avaient vidée de toute mon énergie !

Mais la journée n’était pas entièrement terminée. Je suis allée boire une bière avec mes amis et leur ai raconté tout cela. A un moment, j’ai évoqué la priorité de l’ASFA d’aider l’école en termes de pédagogie. De matériel pédagogique, de projets pédagogiques, de sorties pédagogiques, etc. Un de mes amis, Béninois, qui est musicien et professeur de percussion, a eu une idée : et si nous proposions un projet autour de la percussion, avec des ateliers organisés dans l’école payés par l’ASFA ? Un autre de ces amis est éducateur sportif et propose d’intervenir également autour de la danse (les gamins sourds dansent comme des vrais entendants, ils sont incroyables ! ), et un troisième est artiste plasticien et intervient dans les écoles.

Sachant que la surdité souffre d’une image péjorative, il est important de mener un travail de sensibilisation auprès des parents. Quoi de mieux que de montrer que, comme les autres, ils sont capables de faire quelque chose ? Créer un spectacle de fin d’année danse-percussion-arts plastiques peut être un bon moyen de montrer aux adultes le potentiel des enfants, et leur donner confiance en eux. C’est une idée, je vais monter le projet et le proposer au directeur. Le faire chiffrer, aussi. Réfléchir à comment le déterminer précisément. Nous en parlerons ensemble avec l’ASFA pour voir si les membres soutiennent cette initiative ou non.

Une autre piste de réflexion pour la sensibilisation des adultes et éviter l’abandon des enfants, serait de travailler sur la conception de plaquettes informatives à déposer chez les médecins ORL qui sont chargés d’annoncer les surdités aux parents. Afin de leur expliquer que la surdité n’est pas la fin du monde et qu’il existe des pistes pour que les enfants soient quand même dans la communication (en l’occurrence, au Bénin c’est la Langue des Signes, car il n’y a pas les appareils pour faire entendre les enfants).